T. Kadelbach: Les brigades suisses

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Titel
Les brigades suisses au Nicaragua (1982-1990).


Autor(en)
Kadelbach, Thomas
Reihe
Aux sources du temps présent 15
Erschienen
Fribourg 2006: Université de Fribourg
Anzahl Seiten
269 S.
Preis
ISBN
URL
Rezensiert für infoclio.ch und H-Soz-Kult von:
Michel Busch

Alors que plusieurs Républiques d’Amérique latine ont élu des présidents de tendance socialiste, qu’Augusto Pinochet n’a plus de souci judiciaire et que Daniel Ortega a réussi son retour à la tête du pays, l’ouvrage de Thomas Kadelbach vient très opportunément rappeler l’existence des brigades suisses au Nicaragua et l’impressionnant élan de solidarité suscité par la révolution sandiniste.

L’historien a fait oeuvre de pionnier, stimulé par la publication (Université de Chicago) d’une étude consacrée au mouvement américain de soutien à la révolution nicaraguayenne. Pour traiter de la facette helvétique de ce phénomène international et caractéristique de l’esprit de la Guerre froide, Thomas Kadelbach a dépouillé les archives du Secrétariat d’Amérique centrale, entrepris une vaste recherche de fonds privés, interrogé d’anciens brigadistes par interview ou questionnaire.

A l’origine se situe la création en 1978, à Zurich, d’un comité de soutien au Front sandiniste de Libération nationale en guerre contre la dictature plus que quadragénaire de la famille Somoza. Après la victoire des guérilleros en été 1979, le soutien à une révolution, que chacun pressent menacée par le grand frère nord-américain, s’élargit et se traduit par la naissance de comités de solidarité dans la plupart des villes suisses. Un Secrétariat d’Amérique centrale est chargé de la récolte de fonds à l’échelle nationale et d’une information visant à contrecarrer le discours idéologique qui réduit les ambitions des sandinistes à une imitation du régime cubain. En 1982, une première brigade de solidarité est mise sur pied, un terme qui rappelle les brigades parties au secours de l’Espagne républicaine, à la différence essentielle qu’il s’agit de coopérants auxquels le port d’armes est rigoureusement interdit.

Le succès de cette première mission, le nombre élevé de candidats au départ, confèrent au mouvement de solidarité un caractère de masse et obligent ses responsables à se structurer davantage, avec la création notamment d’une Association de Suisses résidents au Nicaragua. En Suisse, la collaboration s’intensifie avec les milieux politiques et tiers-mondistes, suscitant de multiples partenariats qui donnent au mouvement un aspect très hétérogène et expliquent les formes diverses prises ultérieurement par les brigades.

Brièvement et avec clarté, Thomas Kadelbach rend compte de l’évolution d’un phénomène qui s’est modulé en fonction des événements internationaux et des clivages de politique intérieure. L’apogée de l’engagement militant correspond aux années 1985-86, après l’intervention des marines américains dans l’île de Grenade, interprétée comme une menace directe sur le Nicaragua. Dès 1988 un net reflux se fait sentir, dû à l’extension de la guerre civile, Washington finançant massivement des mercenaires contre-révolutionnaires installés dans les pays voisins. L’assassinat par la Contra, à quelques mois d’intervalle de deux coopérants suisses, Maurice Demierre et Yvan Leyvraz, a tempéré l’ardeur des militants. Ce repli de la solidarité s’explique aussi par des rivalités au sein de l’extrême gauche helvétique, des hiatus entre régions linguistiques, sans parler des pression du pouvoir politique tout naturellement porté à privilégier la solidarité atlantique. La défaite électorale de Daniel Ortega en 1990 entraîne la dissolution du Secrétariat d’Amérique centrale.

Le coeur du travail de Thomas Kadelbach est constitué par l’analyse des quatre catégories de brigades. Pour chacune d’elles l’historien établit la chronologie des départs, le nombre des personnes concernées, la nature des objectifs de coopération et s’efforce de mesurer l’efficacité de l’aide apportée. Les brigades de solidarité, désignées sans autre qualificatif, sont les plus nombreuses. Limitées à des séjours de courte durée, elles s’adressent à des personnes sans affinité politique ou formation professionnelle particulières, mais désireuses d’aider à la récolte des cultures ou de s’intégrer ponctuellement à une équipe d’assistance. Les brigades ouvrières résultent de la collaboration avec les syndicats et sont en partie financées par l’OEuvre suisse d’entraide ouvrière. Elles affichent un caractère de classe, sélectionnent des travailleurs qualifiés pour une période de 6 mois au moins, affectés à des projets de construction de logements ou d’infrastructures. Comme les précédentes, les brigades sanitaires concernent des praticiens et s’apparentent aux missions traditionnelles des organisations caritatives ou tiers-mondistes. Enfin, les brigades de paix soulignent la diversité du mouvement de solidarité. Lancées par des catholiques adeptes de la théologie de la libération, elles bénéficient du soutien du Centre Martin-Luther King de Lausanne, mais leur efficacité pâtira de divergences d’options quant aux activités dévolues à ces militants qui aspirent à vivre l’Evangile autrement qu’on le lit à Rome et à Washington : se limiteront-ils à témoigner par leur présence et leur écoute ou tenteront-ils des opérations d’actions non-violentes d’interposition entre milices sandinistes et celles de la Contra, comme le font certaines organisations pacifiques américaines ?

L’historien explore ensuite la composition sociale des brigades, prises globalement, les motivations des participants et les sentiments que les anciens brigadistes éprouvent vingt ans après les faits. Il utilise ici les formulaires d’inscription que les coopérants ont dû remplir avant leur départ et les matériaux fournis par ses enquêtes d’histoire orale, laissant largement la parole à des acteurs qui jugent de façon très positive leurs expériences, malgré l’échec des Sandinistes et le brutal retour du bâton ultralibéral.

Dans ses conclusions, l’auteur s’attache à expliquer cet élan de solidarité hors du commun, un phénomène qui apparaît aujourd’hui comme singulier, en s’appuyant notamment sur des thèses développées par René Holenstein: les brigadistes sont les héritiers des contestataires des années 60 et 70, mais, contrairement à leurs devanciers, ils ont exporté sous les Tropiques leur malaise d’appartenir à un pays ressenti comme replié sur sa bonne conscience, étouffant, pratiquant une démocratie de façade et drapé dans une neutralité hypocrite. Faut-il en déduire que la suissitude se porte mieux par les temps qui courent ? Ce n’est certainement pas l’avis de Thomas Kadelbach, mais peut-être faut-il attendre d’avoir davantage de recul pour apporter des réponses plus circonstanciées aux questions posées. D’ici là, son travail offre aux lecteurs un beau livre d’histoire vivante et aux chercheurs une riche moisson documentaire.

Citation:
Michel Busch: compte rendu de: Thomas Kadelbach, Les brigades suisses au Nicaragua (1982-1990), Fribourg : Mémoire de licence en histoire contemporaine, 2006, 269 p. (Aux sources du temps présent 15). Première publications dans: Revue historique vaudoise, tome 115, 2007, p.317-318.

Redaktion
Veröffentlicht am
12.05.2010
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Die Rezension ist hervorgegangen aus der Kooperation mit infoclio.ch (Redaktionelle Betreuung: Eliane Kurmann und Philippe Rogger). http://www.infoclio.ch/
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